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Crédit photo: Les Minettes
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Épiceries spécialisées en produits locaux : « Le Québec peut s’approvisionner seul »

27 février 2024 | Par Agathe Boucart

L’épicerie Les Minettes, située au cœur du vieux Sainte-Rose, se spécialise dans la vente de produits locaux. La boutique est tenue depuis près de huit ans par les sœurs Marie-Claude et Pascale Rémond, qui ont développé leur propre gamme de produits alimentaires autour du brunch et de l’apéritif. Elles s’inspirent notamment de recettes familiales pour produire leurs « gourmandises » - craquelins, confits d’oignons, tartinades sucrées...

« Notre père était chef, alors on a été sensibilisées toutes petites à l’amour de la nourriture », raconte Pascale Rémond. Les sœurs concoctent dans leur atelier des recettes avec des produits locaux, inspirées de leurs voyages en France et au Québec. « À partir de la recette de la marmelade melon-pastis, on a créé un coulis d’ici avec du melon du Québec et du pastis du Bas-du-fleuve Ombrelle Champs Gauche de la Distillerie Fils du Roy. »

Le produit local : une notion floue

Selon le PDG de l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA), Pierre-Alexandre Blouin, il est difficile de quantifier le nombre d’épiceries spécialisées dans la vente de produits locaux au Québec étant donné que la définition de la notion de produit local est « floue ».

« Pour certains commerçants, un produit local vient des Laurentides, pour d’autres c’est plus globalement un produit canadien », explique-t-il. Comme il n’est pas obligatoire d’être identifié « Aliments du Québec » pour ouvrir un commerce local, de nombreux commerçants s’autoproclament comme épiciers locaux.

Un sondage réalisé par le Conseil québécois du commerce du détail (CQCD) révèle que 86% des ménages considèrent un produit comme québécois s’il a été inventé, fabriqué, assemblé et transformé majoritairement au Québec, et 84% s’il est composé de matériaux ou d’ingrédients qui proviennent majoritairement du Québec.

« Dans un an, lorsque les données officielles de l’ADA au niveau des exploitants de commerces spécialisés paraîtront, il sera néanmoins possible d’avoir une idée de l’évolution du nombre de commerces de ce type », précise le PDG.

La pandémie, « une vraie explosion »

Pendant la pandémie, la demande pour les produits locaux a augmenté de manière significative. « La fermeture des frontières a permis de démontrer que le Québec peut s’approvisionner seul et qu’il ne manquera jamais de rien », affirme Pascale Rémond.

Une étude publiée par le gouvernement fédéral en 2019 indique que le Québec possède des atouts pour atteindre la souveraineté alimentaire. 60% des Québécois affirment qu’ils achètent fréquemment des denrées alimentaires locales et plus de 70% d’entre eux considèrent que les produits d’ici sont de meilleure qualité que les produits importés.

Claude Lafrenière, propriétaire de L’Hôte Épicier, un magasin ouvert en 2023 à Québec, observe lui aussi un changement de mentalité depuis la pandémie. « Les gens se sont rendus compte de l’importance d’avoir un certain niveau de protectionnisme envers notre économie, d’encourager nos commerçants locaux. » Dans son épicerie « à 99,9% locale », Claude Lafrenière se spécialise dans la vente de fromages et charcuteries qui proviennent majoritairement du Québec.

Acheter local malgré l’inflation

Selon une étude de Statistique Canada, à la fin de l’année 2021, la hausse des prix des produits d’épicerie mesurés d’une année à l’autre a dépassé celle de l’inflation globale des prix à la consommation. Bien que la croissance de l’inflation globale ait ralenti ces derniers mois, se situant sous la barre des 10% en mars et avril 2023, les prix de nombreux produits d’épicerie ont continué d’augmenter mois après mois et, dans l’ensemble, ont été supérieurs de 20% aux niveaux observés deux ans plus tôt.

D’après cette même étude, les ménages dépensent davantage, mais ils consomment moins. Les ventes en dollars courants des magasins d’alimentation ont augmenté de 5,8%, mais mesurées en volume, elles ont diminué de 3,6%.

Chez Les Minettes, on observe que « les gens achètent moins, mais mieux ». La plupart des ménages ne peuvent pas se permettre de faire toute leur épicerie dans ce magasin pour subvenir à leurs besoins. Certaines familles font alors le choix de cibler quelques produits locaux confectionnés à la main. « Par exemple, au lieu d’acheter du Nutella, certains feront le virage vers une tartinade aux noisettes. Ce genre de produit de luxe pourrait être gardé pour des occasions spéciales », indique Pascale Rémond.

Les défis d’approvisionnement

Mais impossible de faire du 100% local tout au long de l’année, se désole l’épicière. Pour confectionner leur coulis de prune, Les Minettes doivent attendre que le fruit soit mûr ; la prune est cueillie au mois de septembre, et il n’y en a plus le reste de l’année. Il arrive parfois que les épicières se retrouvent avec un dixième du volume de la production qu’elles attendaient. « C’est un peu l’enjeu de travailler avec des produits issus de l’agriculture québécoise », confie-t-elle.

Le propriétaire de L’Hôte Épicier raconte pour sa part que dernièrement, dans deux grandes fromageries, les chèvres sont entrées dans une période non lactante en même temps. « Durant cette période, on oublie les fromages de chèvre, y en a tout simplement pas. Parfois les clients ne comprennent pas qu’on ne retrouve pas un produit en épicerie... »

D’après lui, les grandes chaînes ont fait en sorte que les clients ne sont plus habitués à cette précarité. « Pourtant, c’est un cycle normal de la vie, on ne peut pas avoir tout tout le temps. » Une mentalité qui explique peut-être que dans la majorité des cas, « les épiceries spécialisées sont moins fréquentées que pendant la pandémie », selon le PDG de l’ADA. Il explique que si beaucoup de commerçants y ont vu une opportunité pendant la pandémie, « les clients viennent aujourd’hui moins souvent et sont moins fidèles ».

Claude Lafrenière conclut : « Les épiceries spécialisées dans la vente de produits locaux commencent à s’estomper comme à peu près toutes les tendances, mais on voit qu’il y a quand même une bonne base de clientèle qui se tourne vers le local pour subvenir à ses besoins... »

Mots-clés: Québec