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Crédit photo: Romarin

Quel avenir pour les épiceries en vrac ?

24 février 2022 | Par Sophie Poisson

« Ça avait super bien démarré, on avait un bon roulement, la vague zéro déchet était vraiment très forte », commence Isabelle Côté, qui avec son conjoint Romain, est copropriétaire depuis janvier 2020 de l’épicerie en vrac Romarin à Montréal. Durant les deux premières semaines de pandémie, nombre de ses clients ont fait d’importantes réserves de nourriture. L’entrepreneure a ensuite remarqué une peur du vrac.

« On s’est alors mis à faire le service : on commence toujours par se laver les mains, on limite le nombre de personnes qui manipulent, le nombre d’ustensiles utilisés et le nombre de réactions allergiques. On gère donc mieux la propreté dans l’épicerie et on réduit le gaspillage, car il y a moins de dégâts. » Ce fonctionnement lui permet d’apprendre à connaître ses clients, de leur présenter les produits et de leur offrir un service personnalisé.

« En 2021, j’ai quand même senti un recul du zéro déchet, les gens ont d’autres préoccupations », rapporte Isabelle Côté. Elle évoque aujourd’hui « un petit retour au vrac », qui l’incite à redonner de l’autonomie à ses clients. D’autres mouvements ont aussi fait leur apparition : le local - bien que souvent privilégié dans les épiceries en vrac, les deux ne sont pas nécessairement associés – et l’achat en ligne avec livraison. « Je sais que certaines épiceries comme la mienne le proposent, mais je trouve que ça enlève un peu l’idée du zéro déchet et ça complique notre travail avec des pots consignés. »

Crédit photo : Gramme

Démarrer son entreprise en pandémie

D’autres épiceries ont fait le choix d’ouvrir malgré la pandémie. C’est le cas notamment de Gramme, située sur la Côte-de-Beaupré. Florence Magny a profité de la perte de son emploi en restauration et sa sœur, Alice Magny, de ses études à la maison pour mettre en place le projet qu’elles avaient en tête depuis plusieurs années. Originaires de la région de la Capitale-Nationale, elles ressentaient un besoin dans leur réseau et elles considèrent que leur connaissance du marché leur a permis de développer une épicerie attendue par les locaux.

« Il y a eu un engouement dès notre ouverture en juillet 2021, affirme Alice Magny. Je pense que tant la sensibilisation de la population pour l’achat local et écoresponsable que notre localisation un peu plus éloignée de la ville - à environ 20 km d’une épicerie en vrac - nous permettent d’attirer une large clientèle composée d’habitués et de nouveaux initiés au vrac. »

La pandémie a toutefois compliqué l’aménagement de la boutique. « Il y avait beaucoup d’équipements en rupture de stock, donc on s’est retrouvées avec nos deuxième, troisième, voire quatrième choix. Je pense que si on avait attendu d’avoir 100 % de nos premiers choix en termes d’équipements, on ne serait pas encore ouvert. Ça a vraiment été un défi logistique de gérer les livraisons avec les délais de plusieurs semaines », souligne la copropriétaire, qui a tant acheté usagé que neuf.

Crédit photo : Romarin

« Une épicerie la plus complète possible »

Elles se sont notamment équipées de réfrigérateurs et de congélateurs pour les produits additionnels aux secs ou encore de four, de lave-vaisselle et d’évier de cuisine pour le prêt-à-manger réalisé sur place. « On voulait offrir une épicerie la plus complète possible, donc intégrer des fruits et légumes ou encore du tofu, explique Alice Magny. Comme ce sont des ingrédients qui périment plus rapidement, ils peuvent créer des pertes. Le gaspillage alimentaire, autant que l’emballage, est un fardeau pour l’environnement, donc on a choisi de transformer les aliments de l’épicerie avant qu’ils deviennent invendables. »

Chaque jour de la semaine est ainsi consacré à la préparation d’un plat - bol poké, soupe ou encore risotto - qui est vendu frais le jour même et dont les quantités restantes le soir sont mises sous vide, puis congelées. Les sacs sous vide peuvent être rapportés et placés dans la boîte TerraCycle qui gère la fin de vie de l’emballage.

Les copropriétaires ont également choisi de s’équiper majoritairement avec des silos à gravité pour répondre au contexte de pandémie : les clients n’ont pas directement accès aux produits, car ils doivent abaisser la poignée pour que le produit se déverse dans le contenant. Les autres options utilisées sont des bacs à pelle pour des items plus fins qui seront cuits avant d’être consommés, comme la farine, ainsi que des contenants hermétiques avec pompe pour les produits telles que les sauces.

Avec une seule personne sur le plancher, les copropriétaires souhaitent que la clientèle qui se lave les mains à l’entrée soit autonome, mais elles ont développé un comptoir avec service pour des produits plus à risque comme le fromage et les yogourts. Le nombre de produits étant limité, elles préfèrent offrir différentes catégories de produits plutôt que d’avoir plusieurs produits d’une seule catégorie. Les copropriétaires se disent alors à l’écoute des clients pour répondre au mieux à leurs besoins.

Des investissements limités

Ces différents équipements se retrouvent aussi du côté de Romarin. Pour l’offre en ligne, l’épicerie montréalaise dispose d’un site internet qui n’a pas encore été développé. « On n’a pas eu accès aux subventions salariales et de loyer, donc on est un peu en mode survie et les coûts reliés à la création d’un site web ne sont pas possibles pour le moment. » L’ouverture de l’épicerie à quelques mois de la pandémie ne leur permet pas de prouver des pertes financières par rapport à l’année précédente, et ils ne sont donc pas certains d’obtenir de subventions.

Gramme a également privilégié la gestion de l’épicerie physique. Ses propriétaires aimeraient toutefois avoir un site transactionnel et pourraient se tourner vers des pots consignés pour inclure la livraison. Si plusieurs fermetures d’épiceries en vrac ont été annoncées en début d’année, Alice Magny pense qu’elles ne sont pas spécifiques au vrac et qu’elles font partie d’un renouveau.

« Je n’ai pas tant peur de l’avenir pour les magasins en vrac, confirme Isabelle Côté. Les gens vont y revenir pour des raisons environnementales, mais j’ai davantage peur pour les petits commerces qui viennent d’ouvrir. On ne va pas tous survivre : il y a trop de monde qui utilise les Lufa, Goodfood ou encore Cook it, qui sont plus faciles que le zéro déchet. » Elle mise sur la nouveauté et développe alors des partenariats avec d’autres jeunes entrepreneurs, comme Catoo Vega Club, qui fait notamment des végépâtés et du houmous, ainsi que sur la facilité avec des pots de prêt-à-manger Bocobistro, entre autres. Elle a aussi un projet de café, dépendamment de l’évolution des affaires…

Mots-clés: Développement durable
Québec